Samuel Crevel a commenté les deux arrêts suivants dans les numéros de la Revue de droit rural de février (n°500) et de mars 2022 (n°501)
- Arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile, du 17 novembre 2021 (n° 20-10934 ; RDR 2022, comm. 25)
Avec cet arrêt, la Cour de cassation maintient le « cap environnemental » : une nouvelle fois, après l’arrêt du 6 février 2020 (n° 18-25460, RD rur. 2020, comm. 89, V. Bouchard), elle retient, pour approuver la résiliation du bail, que constitue un agissement de nature à compromettre le fond au sens de l’article L 411-31 (I,2°) du code rural et de la pêche maritime, même en dehors d’un bail environnemental, des travaux du locataire ayant pour effet d’apporter au bien loué une moins value environnementale (en l’espèce, le retournement d’une pâture et l’arrachage d’une haie vive).
Cette position marque une évolution notable de la jurisprudence qui, jusqu’à présent, considérait, dans une vision pragmatique et économique du texte, que loin de « compromettre la bonne exploitation du fonds », de tels travaux facilitaient au contraire sa mise en culture et augmentaient sa rentabilité. En imposant aujourd’hui au preneur d’exploiter le fonds « tel qu’il a été loué », le juge du droit fait peser désormais sur lui un devoir de préservation au détriment de sa liberté économique.
Les bailleurs désireux d’encadrer plus clairement l’exploitation de leur locataire restent bien avisés de conclure un bail environnemental décrivant précisément la ligne rouge (ou plutôt la ligne verte…) que celui-ci ne doit pas franchir (à condition que l’engagement environnemental soit de ceux mentionnés à l’article R 411-9-11-1 du code rural et de la pêche maritime).
- Arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile, du 24 novembre 202 1n° 20-18880 ; RDR 2021, comm. 44)
Le bail-type départemental, prévu par l’article L 411-4 du code rural et de la pêche maritime et arrêté dans chaque département par le préfet, est un acte juridique singulier.
Acte de nature administrative, ce « bail standard » constitue la matrice contractuelle par défaut des relations locatives verbales. Il a le grand mérite de dissiper toute interrogation ou tout malentendu sur le contenu précis des obligations de chacune des parties.
Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme que les parties à un bail verbal sont libres de prouver (par tout moyen) qu’elles sont convenues d’obligations autres que celles prévues dans le bail-type (pour un précédent : Civ. 3ème, 7 mai 2014, n° 13-14152, RDR 2014, comm. 177, note S. Crevel) et, pour la première fois, retient que la mise à l’écart du corpus d’obligations portées par le bail-type suppose la rédaction par les parties d’un bail écrit complet. Reflétant fidèlement le caractère dispositif du bail-type, cet arrêt avertit le praticien que le bail-type n’est pas loin derrière les écrits incomplets.
Samuel Crevel a commenté les deux arrêts suivants, dans la Revue de droit rural de septembre 2022 (n°498)
- Arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile, du 23 septembre 2021 (n° 20-15305 ; RDR 2022, comm. 256)
Une nouvelle fois, la Cour de cassation a dû apprécier la durée d’un bail litigieux, pour déterminer s’il entrait ou non dans le régime particulier d’achèvement prévue à l’article L 416-3 du code rural et de la pêche maritime et propre aux baux à long terme d’une durée au moins égale à 25 ans : possibilité de stipuler une clause permettant la délivrance d’un congé à long préavis (4 ans) ou, en l’absence de cette clause, cessation automatique du bail au terme.
L’enjeu pratique est évidemment important pour le bailleur, qui est alors assuré de mettre fin au bail.
Même s’il est habituellement aisé de déterminer cette durée (on parle bien de la durée originelle du bail, peu important ses éventuels renouvellements) mentionnée clairement dans le bail, la question peut néanmoins se poser lorsque le bail d’origine fait l’objet d’ un avenant -de prorogation, de résiliation…- qui parait influer sur sa durée « faciale ».
En l’espèce, le juge a du se poser la question de savoir si l’accord modificatif passé entre les parties postérieurement au bail de 25 ans, pour en étendre le champ dans le temps et dans l’espace, devait être regardé comme un nouveau bail résiliant implicitement mais nécessairement l’ancien ou comme un simple avenant au bail originel.
Après analyse de faits relativement compliqués et à la faveur du pouvoir souverain du juge du fond, la Cour de cassation a retenu la thèse de l’avenant. Elle en a tiré pour conséquence qu’au terme issu de la prorogation, le bail unique, d’une durée totale bien supérieure (par l’effet de l’avenant) à 25 ans, avait pris automatiquement fin. Tel n’eût pas été le cas si la thèse du nouveau bail/résiliation avait été accueillie.
Même s’il est d’espèce comme lié à la rédaction et à l’interprétation de l’acte litigieux, cet arrêt appelle néanmoins généralement l’attention du praticien sur l’importance que les parties doivent prêter à la rédaction des actes conclus postérieurement à un bail (surtout si celui-ci est affecté d’une durée au moins égale à 25 ans) et destinés à le modifier.
- Arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile, du 23 septembre 2021 (n° 20-14785 ; RDR 2022, comm. 257)
Par cet arrêt, pas très aisé à interpréter, la Cour de cassation parait retenir que la dévolution du bail rural pour cause de mort, organisée par l’article L 411-34 du code rural et de la pêche maritime, placerait le dévolutaire a l’abri de causes de résiliation auxquelles eût pu être exposé, de son vivant, le défunt locataire. En l’occurrence, a été écartée la demande de résiliation formée à son encontre par le bailleur à raison des agissements fautifs commis par le copreneur (toujours en vie, mais à la retraite).
Ce ne serait pas la première fois que la Cour de cassation créerait ainsi une sorte de régime de faveur au profit du successeur du locataire. On se souvient ainsi que le cessionnaire du bail ne peut se voir opposer la renonciation à un droit statutaire valablement souscrite par le cédant son auteur.